Yves Michaud – Les authentiques
Yves MICHAUD
Philosphe et critique d’art
Texte paru dans le livre
Les Authentiques, février 2020,
éditions Flammarion
Elle impressionne par les vies qu’elle a traversées et dont elle révèle quelques moments avec une lucidité et un engagement auxquels on n’est plus habitué.
Née en France de père français et de mère allemande, nourrie en profondeur et dès son plus jeune âge, de culture artistique allemande sans céder sur la critique d’un pays où elle ne se reconnaît pas vraiment, elle est entrée en trombe dans le monde de l’art dans les années 1985 avec une peinture expressionniste aussi forte que celle des nouveaux fauves, en particulier Middendorf ou Hödicke, où l’on sent la forte influence d’Emil Nolde que Barbara Thaden a beaucoup regardé, tout comme elle aime Philip Guston.
Elle aurait dû ou pu s’acharner dans cette voie et l’exploiter mais il y a chez elle une force de réflexion qui tempère les emportements, y compris ceux du succès.
Elle a donc pris ses distances à partir du milieu des années 1990 et pour vivre, s’est mise à collaborer avec les grands couturiers et les designers pour lesquels elle créait des tissus peints ou brodés qui eurent un grand succès. Elle produisait aussi des objets décoratifs à exemplaire unique. Elle pratique alors aussi la photographie, la vidéo et même la performance.
C’est le propre des artistes de notre temps – et pas seulement femmes – que même s’il reste une activité privilégiée, la pratique d’un art à métamorphoses est naturelle.
Elle revient à la peinture à partir du milieu des années 2000 et travaille alternativement à Cologne et Paris, puis en Bretagne où elle séjourne de plus en plus longuement depuis quelques années.
Son travail, depuis ce recommencement, est à multiples facettes.
Elle peint de très grandes aquarelles sur des rouleaux de papier qu’elle peut dérouler et enrouler au fur et à mesure. Les couleurs ont la douceur de l’aquarelle et sa fluidité. Les images qui se dégagent sont celles de créatures marines dont les filaments flottent, ou de formes géologiques colorées, ou de ces fleurs-corolles presque minérales comme on en trouve chez Georgia O’Keeffe que Barbara Thaden admire tellement. Quand des visages et des figures apparaissent, l’on est entre Hundertwasser pour les couleurs et le préraphaélisme pour la douceur du traitement. Tendresse et rêverie ont succédé aux cauchemars fauves. Demeure une présence tranquille et forte.
Il y a aussi beaucoup de petits formats avec des paysages plus ou moins réalistes ou plus ou moins fantastiques où l’on trouve l’écho d’un Franz Marc qui n’aurait pas connu le cubisme.
Barbara Thaden réalise aussi des dessins érotiques, mais le mot sensuel conviendrait mieux, où les corps se mêlent, s’emmêlent, s’étreignent et se fondent.
A travers ces étapes, ces affirmations et ces hésitations, se donne l’engagement de Barbara Thaden : de toute manière elle ne peut pas ne pas peindre, elle ne peut pas ne pas être l’artiste qu’elle est. Elle a trouvé une sérénité et un équilibre qui, sur le fond d’une compréhension lucide des événements, lui permettent d’être pleinement et entièrement dans sa vocation et sa voie. Il y a chez elle une authenticité que rien ne peut dévoyer.
L’atelier n’a pas besoin d’être un laboratoire sophistiqué : il suffit qu’elle y trouve le calme et qu’elle s’y sente chez elle.