Françoise Monnin — Les détours de l’infini
Françoise MONNIN
Journaliste, critique d’art
Texte paru à l’occasion de l’exposition « Erotik », galerie Samantha Sellem
« En commençant un dessin, je n’ai aucune idée de sa fin » : spontanée, intuitive en dépit de cinq années d’études aux beaux-arts de Brest et de Rennes à l’aube des années 80, Barbara Thaden dessine comme elle respire.
Loin des discours, des plans, elle laisse ainsi soudre un univers intime, en accuse légèrement les lignes nécessaires, les réseaux utiles.
« Je creuse avec le crayon, révèle ce qui est invisible ; sans modèle ni photographie. Cela doit être vivant avant tout ».
Rapide, le crayon, parfois rehaussé de quelques gouttes d’aquarelle, tisse une résille en travers du blanc mystère de la
page. Champ de tout les possibles, il s’anime, tel un ciel de nuit lorsque surgit une constellation.
À l’intersection de deux lignes, une aisselle, un genou ou un sexe pointe. Le trait se fait pli, le vide, chair. Et très vite, un second corps, puis un troisième, se faufilent tout contre le premier.
Contact, caresse, chaleur. Tout cela est doux et brûlant à la fois, incarnant simultanément le désir et le plaisir.
Mystérieux. Féminins. Et infinis : les nuits blanches de Thaden sont bien davantage que mille et une.
Les autres, elle leur donne à voir combien l’acte de dessiner, par petites touches successives, en ménageant des silences, en favorisant des soupirs, a fort à faire avec celui d’aimer.
De ses origines allemandes, de ses racines plongées en terre de dessin net et précis – celle de Dürer, de Bellmer, de tous ceux qui tracent des lignes avec une précision chirurgicale, une minutie d’orfèvre -, Thaden dit qu’elle retient davantage la subtilité moderne de Paul Klee, l’audace expressionniste de Nolde. C’est face à leurs dessins et à leurs peintures, à l’âge de douze ans, qu’elle avait, déjà, choisi la peinture.
De la Bretagne de ses études, elle a aussi capté le caractère « extraordinaire » des paysages, si propices aux enchantements.
De ses rencontres enfin, elle retient la complicité de l’artiste Daniel Spoerri, danseur, assembleur, poète. Elle se souvient également, intensément, des conversations avec le fameux plasticien Josef Beuys, de sa vision du monde, si « passionnante » ; audacieuse, humaniste, provocante. De son mari enfin, le fameux critique d’art et écrivain Bernard Lamarche-Vadel, Thaden conserve le savoir voir.
Tout cela a nourri vingt années de créations ; des toiles spectaculaires et des objets plus intimes, assemblages de photographies, de mots, de perles et de dentelles cousues ; autant d’hommages incisifs à l’onirisme féminin, à sa délicatesse aigüe.
Les dessins ? La « liberté ! Une feuille, un crayon, la main qui fait surgir simplement des univers « où tout est possible ».
Exploration et elaboration » !
Les dessins érotiques ? La « nécessité d’aborder et d’explorer ce domaine important de l’histoire de l’art. Les artistes femmes ont des “choses” à faire en ce domaine. Ce travail serait violamment censuré dans nombre de parties du monde, où l’on lapide si facilement, où la violence est insupportable. En dessinant, j’accomplis, aussi, un acte modeste de résistance ».*
À Victor Hugo, poète homme, pour qui la definition de la Beauté consistait en « un peu d’infini dans un contour », Barbara Thaden, artiste femme, répond que l’important, c’est de laisser l’infini accomplir des détours.
Françoise Monnin
Paris, mars 2009.